Paysages sonores et vibration

Mystérieux, mystifié : à la découverte d’un instrument aux multiples facettes, plus accessible qu’il n’y paraît.

Cet article clôture un dossier co-écrit avec Antoine Pasqualini, aka Monolithe Noir, pour Karoo.

En tant que musicienne plutôt classique et grande passionnée du numérique, le modulaire reste pour moi un monde obscure, malgré les nombreuses invitations à m’y plonger. Il n’empêche qu’entrer dans les profondeurs du genre m’a ouverte sensoriellement et musicalement, par cette capacité à se dégager du cadre parfois trop contraignant de la composition sur ordinateur. C’est donc bien là que se confronte le décalage entre la composition de « chanson » couplet-refrain, ordinairement encouragée et valorisée, et celle d’une complète perte de repères, à la fois effrayante et excitante. Je n’exclus pas de m’y plonger un jour dans mon processus de composition (même si cela demande de revoir complètement ma manière de faire) et mon approche future de la musique n’en sera certainement plus la même. Il n’empêche que je me complais pour l’instant à rester simple auditrice, expérience réjouissante et éclairante.

Ce qui frappe dans le modulaire est la puissance des paysages qui peuvent s’y créer, motif que l’on retrouve autant dans les rebords escarpés du son que dans les dessins des ondes modulées. On oublie trop souvent que la musique est onde et qu’elle peut, lorsqu’elle prend forme, être déformée à souhait, la science devenant palpable, concrète et accessible.

Joy Division aura marqué les esprits avec la pochette de Unknown Pleasure (1979) — image tirée d’un livre d’astronomie qui représente les ondes du tout premier pulsar — troublante rencontre entre la physique quantique et l’alpinisme. De la même manière, si le son modulaire inspire l’extra-terrestre, c’est pourtant bien de terre et d’air qu’il s’imprègne, donnant à observer les forces abstraites qui nous entourent, à la fois matérielles et immatérielles, expérience physique et force d’abstraction, assurément.

Trève de paroles, il ne vous reste plus qu’à écouter une sélection d’artistes que nous avons réuni·es dans une playlist . 

Fait amusant, il est très difficile d’identifier les artistes qui utilisent ou non un modulaire (à quelques exceptions près). Nous avons donc dû nous baser sur des photos de leurs studios ou de leurs lives pour arrêter notre choix. Comme quoi, le modulaire est donc bel et bien une expérience visible. Bonne écoute !


Ce qui frappe de prime abord chez Caterina Barbieri, c’est la vélocité, à la fois lumineuse et glaçante, de ses harmonies. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas, Vertical (2014) donnant à voir un paysage plus sombre et magmatique, composé sur Buchla 200 dans le cadre de ses études au Elektronmusikstudion et à la Royal University of Music de Stockholm. Ce qui s’est passé entre 2014 et 2017, la sortie de Pattern Of Consciousness, seule l’Italo-Berlinoise le sait (sa biographie n’en parlant pas). Ce n’est pas tant la qualité de la composition qui change, mais plutôt l’authenticité du paysage escarpé qu’elle offre à voir, lui permettant de se distinguer des nombreux nouveaux nés du genre. Elle revient en 2019 avec Ecstatic Computation, dans la même lignée que Born Again The Voltage (2018), bien que très différent, plus cadré mais toujours aussi résistant. Les amateurs de rock s’y retrouveront sûrement !

New-Yorkaise d’origine mais désormais installée à Los Angeles, Emily A. Sprague fait également partie d’un trio indie pop, plutôt folk : “Florist”. Même si les ambiances modulaires interagissent discrètement de temps à autres avec les guitares, c’est sous son nom propre qu’elle expérimente pleinement l’outil avec un premier album “Water Memory (2017), subtile et mouvant. Mount Vision, sorti en 2018, recrée la rencontre organique du piano et du synthétiseur avant de prendre un tournant tout à fait synthétique dans son dernier album, Full/New (2019). Une artiste à suivre absolument, autant musicalement qu’artistiquement.

La musique d’Eliane Radigue est majestueuse non seulement par sa beauté mais également par l’attention qu’elle réclame au-delà de son apparente discrétion. D’inspiration bouddhiste, son oeuvre semble pourvue d’une vie autonome, organisme résonnant à travers une membrane. La compositrice française, dont le synthétiseur ARP est devenu la signature (bien que celle-ci s’exprime aussi bien à travers un registre acoustique – écouter « OCCAM OCÉAN » pour le réaliser), impressionne par sa maîtrise des fréquences, des résonances et des enchevêtrements. Un art perpétuellement renouvelé, oscillant entre apaisement et oppression.

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